Entré dans son 36e jour, le shutdown en cours aux États-Unis est désormais le plus long de l’histoire du pays. Au Congrès, démocrates et républicains ne parviennent toujours pas à se mettre d’accord sur un budget. Des centaines de milliers de fonctionnaires fédéraux ont déjà été mis au chômage technique et les aides alimentaires de 42 millions d’Américains sont désormais menacées.
Depuis le 1er octobre, républicains et démocrates ne parviennent pas à s’entendre sur un budget. Une paralysie budgétaire – ou "shutdown", en anglais – qui a battu dans la nuit de mardi 4 à mercredi 5 novembre le précédent record de 35 jours, établi en 2019 sous le premier mandat de Donald Trump.
Faute de financement, des centaines de milliers de fonctionnaires fédéraux ont déjà été mis au chômage technique. Depuis le 1er novembre, le programme Snap – acronyme de "Programme d'aide supplémentaire à la nutrition" – d’assistance aux plus pauvres est menacé. Le président américain Donald Trump s’est empressé mardi de mettre la faute sur les "démocrates de la gauche radicale", promettant de geler cette aide alimentaire tant que ceux-ci ne voteraient pas le budget proposé par son camp.
Une déclaration qui entre en conflit avec une décision de la justice fédérale américaine, qui a ordonné à l’administration Trump d’utiliser un fonds d’urgence pour verser une partie de l’aide, qui ne concernerait que la moitié des récipiendaires. La porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, a toutefois assuré que le gouvernement se conformerait à cette décision judiciaire. Reste à savoir si le Congrès débloquera les cinq milliards de dollars de fonds d’urgence contre l’avis du président américain.
Les retards probables pourraient avoir d'importantes conséquences pour les 42 millions d’Américains bénéficiaires de ce programme. Selon le ministère de l’Agriculture, qui administre cette aide, un résident américain sur huit bénéficiait en 2023 – date du dernier recensement – d’une moyenne de 187 dollars de chèques alimentation par mois et par personne. Parmi les récipiendaires, 39 % étaient des enfants et des adolescents de moins de 18 ans.
"Les associations ont doublé leurs capacités pour pouvoir tenir le choc"
"C’est un moment épouvantable pour les familles les plus précaires : ça ne fait que cinq jours et tout cela risque d’empirer", déclare à France 24 Andi Bauer, volontaire à la Central Presbyterian Church d’Austin, au Texas. Avec d’autres bénévoles confrontés à une pauvreté de plus en plus criante dans les rues de la ville, elle a créé le Homeless Advocacy Project, qui recense chaque année les urgences en matière de sans-abrisme et apporte une assistance aux 1 945 foyers sans domicile fixe de la capitale texane. "Même avec le programme Snap, beaucoup d’enfants américains se couchaient déjà avec le ventre vide", souligne-t-elle.
Sur le terrain, les ONG se préparent à un afflux de personnes dans les soupes populaires. "Les associations ont doublé leurs capacités pour pouvoir tenir le choc et ont étendu leurs horaires. Elles préparent en parallèle des appels aux dons privés", ajoute Andi Bauer. Selon elle, certains refuges du centre-ville ont déjà commencé à réduire les portions par crainte de pénurie.
Des bénévoles préparent des sacs de collations et des repas pour les programmes parascolaires dans la cuisine de l'entrepôt de la Central Texas Food Bank, à Austin, au Texas, le 30 octobre 2025. © Kaylee Greenlee Beal, Reuters
"Dans ces situations de shutdown, c’est le secteur associatif et philanthropique, très développé aux États-Unis, qui prend le relais", commente Marie Assaf, docteure en sciences politiques, spécialiste des politiques sociales américaines. "Certains États peuvent aussi lever des fonds d’urgence", ajoute la chercheuse à l’EHESS, qui précise que le programme Snap couvre en moyenne 60 % du budget des près de 37 millions d’Américains qui se trouvent sous le seuil de pauvreté.
"Donald Trump tente de faire croire que les démocrates sont irresponsables"
Pour l’américaniste, le locataire de la Maison Blanche joue la montre afin d’accentuer les tensions. "Donald Trump tente de faire croire que les démocrates sont irresponsables", décrypte-t-elle. "C’est une crise sanitaire, avec des effets en cascade sur la santé des Américains les plus pauvres, causée par une crise administrative et politique", déplore-t-elle. Marie Assaf n’est toutefois pas surprise par le scénario en cours au Capitole : "Donald Trump avait annoncé la couleur durant sa campagne, il a vraiment pour ambition de démanteler l’État social."
Lors de sa troisième tentative d’accession à la Maison Blanche, le milliardaire avait poussé la comparaison avec l’ex-président Ronald Reagan à l’extrême. Donald Trump partage avec son prédécesseur le fait d’avoir survécu à une tentative d’assassinat, mais aussi et surtout une vision très négative des aides sociales. Sa "One Big Beautiful Bill", votée en juillet dernier, prévoit ainsi une réduction de 1 000 milliards de dollars des budgets alloués aux programmes sociaux.
Un parallèle évident pour Marie Assaf. "Ronald Reagan a détruit l’école publique aux États-Unis, il considérait lui aussi que le pays s’endettait trop et coupait en priorité dans la santé et l’éducation", pointe la chercheuse.
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C’est d’ailleurs à partir de l’arrivée de Ronald Reagan sur la scène politique américaine, dans les années 1970, que les premières dénonciations des aides sociales aux plus pauvres ont commencé à faire surface dans le débat politique. "Il y a toujours eu aux États-Unis une dichotomie entre pauvres méritants et profiteurs", remarque le doctorant en histoire américaine Antoine Nseke Misse, qui finalise sa thèse sur le programme Food Stamps, ancêtre du Snap. "Cette aide avait d’abord été pensée comme un moyen d’aider les agriculteurs américains à se débarrasser de leurs invendus, avant de se généraliser. C’est pour cela qu’aujourd’hui encore, elle est gérée par le ministère de l’Agriculture."
À plusieurs reprises, des personnalités politiques ont tenté de mettre un terme à cette aide, sans succès. "Le Congrès se rendait compte que ce genre de programme servait de variable d’ajustement en cas de crise, comme en 2008 avec les subprimes : quand l’économie est moins bonne, plus de gens y sont éligibles et il sert de soupape", précise Antoine Nseke Misse, qui voit mal Donald Trump profiter du shutdown pour supprimer le Snap pour de bon.