L'intelligence artificielle (IA) générative est de plus en plus utilisée dans les tribunaux aux États-Unis. Une présence qui permet à des victimes de s'exprimer en audience, aux juges d'effectuer des recherches, aux avocats de réaliser des recours. Surtout, l'IA peut changer le sort des affaires.
Avant le prononcé de la peine de son meurtrier, début mai à Phoenix (Arizona) aux États-Unis, Chris Pelkey s'est adressé au juge Todd Lang, et à l'accusé, dans une vidéo.
"Je crois au pardon", a expliqué cet ancien combattant, abattu par balle en 2021 lors d'une altercation entre automobilistes, ou, plutôt, son avatar IA créé par sa sœur, Stacey Wales.
"Je savais que ce serait puissant", explique-t-elle à l'AFP, "que ça humaniserait Chris aux yeux du juge."
"Un outil qui fait gagner du temps"
Ce témoignage IA concluait une audience lors de laquelle dix proches, dont Stacey Wales, s'étaient déjà exprimés.
Si cet événement était une première, les exemples d'utilisation de l'IA dans des affaires judiciaires se multiplient aux États-Unis.
"C'est un outil utile, qui fait gagner du temps, dès lors que l'exactitude (des résultats produits par une recherche IA) est confirmée par l'avocat, le juge qui prépare un jugement ou un greffier", estime Stephen Schwartz, avocat à Portland (Maine). "C'est positif pour la justice."
Il utilise ChatGPT, mais surtout les interfaces spécialisées comme Protégé (LexisNexis) ou CoCounsel (Thomson Reuters) pour débroussailler la jurisprudence ou se documenter sur des aspects précis de la loi.
Fausses citations et noms inventés
"On ne peut pas s'y fier totalement", prévient l'avocat. "Il faut lire les dossiers pour s'assurer qu'ils disent bien ce (que l'IA) nous rapporte. On a tous en tête les histoires horrifiques d'IA qui mélange des affaires."
Les recours truffés de fausses citations, précédents farfelus et noms inventés, au fort parfum d'IA, ne sont plus une rareté.
Début mai, un juge fédéral de Los Angeles a infligé 31 100 dollars d'amende et de dommages à deux cabinets d'avocats pour une requête qui contenait neuf erreurs de jurisprudence en dix pages, qualifiant l'opération de "débâcle collective".
L'IA générative alimente aussi les recours d'individus choisissant de se passer d'avocat, avec, là aussi, régulièrement des erreurs à la clef.
"Il devient de plus en plus facile" de rédiger et de déposer un document de justice, souligne Shay Cleary, du Centre national des tribunaux d'État. Dès lors, "il est possible que les tribunaux enregistrent une hausse" des actes et "doivent s'y préparer".
"Ouvrir la voie à une transformation"
Daniel Linna, professeur de droit à l'université Northwestern, voit dans l'IA la promesse d'un système plus efficace, qui améliore le fonctionnement de la justice.
"Environ 80 % à 90 % des gens n'ont pas accès aux tribunaux ou à des services juridiques", affirme l'universitaire. "Il faut être vigilant sur la manière de les intégrer, mais ces outils peuvent ouvrir la voie à une transformation."
"Je parle à beaucoup de magistrats et j'ai le sentiment que leur usage s'accroît", explique Daniel Linna. "Ils n'en parlent pas forcément, mais certains me disent qu'ils expérimentent", y compris comme soutien à la rédaction d'un jugement.
Plusieurs juges fédéraux de Washington ont été plus loin et ont évoqué, dans des décisions écrites, leur utilisation de ChatGPT, même si elle revenait, à chaque fois, à vérifier une opinion et non à la former.
"Il faudrait dire clairement que les juges doivent être à jour technologiquement et se former à l'IA", plaide Daniel Linna.