L’armée russe progresse dans la région de Dnipropetrovsk, qui ne fait pourtant pas partie des revendications territoriales de Vladimir Poutine en Ukraine. La bataille pour deux villages militairement sans importance illustre l’intérêt de cette offensive et le risque pour Kiev.
 

Les Russes y sont-ils ou pas ? Ils occuperaient les deux villages de Zaporizke et Novoheorhiivka dans la région de Dnipropetrovsk au nord-ouest du Donbass, affirme la BBC, mercredi 27 août. "C’est la première attaque [russe] d’une telle ampleur dans cette région", a souligné à la chaîne britannique Viktor Trehubov, un porte-parole de l’armée ukrainienne.

Une affirmation retoquée quelques heures plus tard par le Groupement opérationnel-stratégique des troupes ukrainiennes (Gost) du secteur "Dnipro" (capitale de la région de Dnipropetrovsk) sur Telegram. "Les forces de défense continuent d’occuper le village de Zaporizke, malgré tous les efforts de l’ennemi de s’en emparer", affirme le Gost-"Dnipro". Idem pour Novoheorhiivka où "nos soldats infligent de lourdes pertes chaque jour à l’adversaire", ajoutent les responsables de cette structure militaire ukrainienne qui supervise les opérations au sud la région de Dnipropetrovsk.

De l’importance de quelques pâtés de maisons

Côté russe, "cela fait plusieurs mois que l’armée revendique la prise de ces deux villages", souligne Huseyn Aliyev, spécialiste de la guerre en Ukraine à l’université de Glasgow. Difficile, donc, de savoir qui se trouve où, et "il faudra probablement encore patienter un peu avant d’avoir des informations plus précises à la fois sur l’avancée russe et l’importance des territoires pris ou non", résume Nicolo Fasola, spécialiste des questions militaires russes à l’université de Bologne.

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Il n’empêche que la bataille des déclarations dans un sens comme dans l’autre, y compris entre différents services de l’armée ukrainienne, démontre que la question du sort de ces deux villages est sensible. Pourtant, "d’un point de vue purement militaire, ce sont des objectifs insignifiants", assure Veronika Hinman, spécialiste de la guerre en Ukraine à l'université de Portsmouth.

En effet, Zaporizke et Novoheorhiivka ne sont plus que l’ombre de villages alors qu'ils comptaient plusieurs centaines d'habitants avant la guerre. "Il s’agit d’ensembles de quatre ou cinq maisons complètement détruites", affirme Huseyn Aliyev. Aucun intérêt tactique, donc, d’en revendiquer le contrôle. Ces localités n’offrent aucun abri particulier et ne peuvent pas servir de point de regroupement des troupes. "Ce n’est guère mieux que d’être à découvert en pleine campagne", résume-t-il.

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Pour lui, ces deux localités illustrent parfaitement "la stratégie de ‘placement de drapeaux’ que les Russes affectionnent". Il s’agit de dépêcher des unités très mobiles pour planter rapidement un drapeau russe, de le prendre en photo avec un drone pour ensuite pouvoir se vanter sur les réseaux sociaux d’avoir "capturé" de nouveaux territoires. Et qu’importe si, ensuite, les Ukrainiens peuvent sans encombre particulier déloger le drapeau intrus.

Dans le cas de Zaporizke et Novoheorhiivka, les Russes semblent bien décidés à planter fermement leur drapeau dans les décombres de ces localités désertées. C’est, en grande partie, parce que si les villages n’ont aucun intérêt militaire, "leur conquête aurait une valeur symbolique et politique à prendre sérieusement en compte", affirme Nicolo Fasola.

Monnaie d'échange ?

D’abord, leur prise signifierait que la Russie a réussi à s’installer dans une toute nouvelle région. Et pas n’importe laquelle : "Volodymyr Zelensky a affirmé, par le passé, que les Russes n’avanceraient pas jusque dans la région de Dnipropetrovsk", note Huseyn Aliyev. Cet oblast abrite à la fois l’une des plus grandes villes du pays - Dnipro, et ses plus d'un million d'habitants, est un important centre militaire -, et accueille des activités économiques essentielles pour le pays, aussi bien dans le secteur de l’industrie que de l’aéronautique. Sans compter "la rivière Dniepr qui sert notamment au transport d’énergie et que la Russie souhaiterait probablement contrôler", ajoute Veronika Hinman.

Il s’agit aussi des premières incursions depuis les premiers temps de la guerre d'invasion à grande échelle dans une région qui n’est pas frontalière avec la Russie. "Cela donne l’impression que la Russie a réussi à avancer en profondeur en territoire ukrainien", précise Huseyn Aliyev.

L'Ukraine célèbre à nouveau le Jour de l'Indépendance en pleine guerre © France 2402:00

Si la Russie réussit à prendre pied dans cet oblast "ce serait donc un coup au moral des Ukrainiens et un rappel des limites de leur dispositif défensif face à un ennemi qui semble avoir encore les ressources pour ouvrir de nouveaux fronts", souligne Veronika Hinman.

Pour Moscou, c’est aussi un moment idéal pour ajouter de nouveaux territoires à son tableau de guerre. "Dans le climat géopolitique actuel, le soutien américain à l’Ukraine est déjà remis en question, et des pertes supplémentaires vont fragiliser davantage la position ukrainienne aux yeux de Donald Trump", estime Nicolo Fasola. Le président américain n’est, en effet, pas du genre à vouloir apparaître comme étant du côté des "perdants", assurent les experts interrogés par France 24.

L’administration Trump envisage, en outre, "la question des négociations de paix comme une affaire d’échanges de territoires", note Gustav Gressel, analyste des questions militaires pour l’Académie nationale de défense autrichienne. Dans ce contexte, la Russie a tout intérêt à prendre des territoires en dehors de ces revendications dans le Donbass. C’est le cas pour la région Dnipropetrovsk, et Moscou pourrait utiliser ces prises de guerre "comme une monnaie d’échange pour exiger de Kiev de lui fournir les zones dans le Donbass que les Russes ne parviennent pas à capturer", explique Nicolo Fasola.

Difficile d’aller plus loin

Mais, pour l’instant, les deux villages revendiqués par la Russie dans la région de Dnipropetrovsk "ne sont pas politiquement suffisamment significatifs", affirme Gustav Gressel.

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Les autorités ukrainiennes ne vont probablement pas échanger le reste du Donbass pour quelques pâtés de maisons. Il faudrait que la Russie réussisse à s’enfoncer davantage vers Dnipro… ce qui est loin d’être acquis, selon les experts interrogés par France 24. Le principal obstacle à un tel scénario provient du terrain, estime Huseyn Aliyev. "Les Russes devraient avancer à découvert pendant longtemps ce qui en ferait des cibles faciles pour les drones ukrainiens", explique ce spécialiste.

Pour éviter ce sort, l’armée russe serait obligée d’avancer en petites formations plus discrètes. Problème : difficile dans ces conditions d’amasser suffisamment de troupes pour préparer une attaque contre des villes plus importantes.

Reste la grande inconnue : à quel point la région de Dnipropetrovsk est-elle bien défendue, sachant que "les forces ukrainiennes ont déjà du mal à repousser les Russes le long de la ligne de front principale dans le Donbass", note Veronika Hinman.

FRANCE 24