Selon des analystes finlandais, les Russes ont renforcé leur présence militaire ces derniers mois à proximité de la frontière avec la Finlande, pays le plus récent à avoir rejoint l'Otan. De son côté, Helsinki prépare sa défense.
Alors qu'en ce mois de mai les efforts de paix se poursuivent pour mettre fin au conflit en Ukraine, Moscou continue d'avancer ses pions face à l'Otan. Selon de récentes images satellite, la Russie a renforcé sa présence ces derniers mois à la frontière de la Finlande qui a rejoint les rangs de l'Alliance atlantique en 2023 dans le sillage de l'invasion de l'Ukraine.
Ces images montrent des rangées de nouvelles tentes, de nouveaux entrepôts pouvant stocker des véhicules militaires ou encore des rénovations d'abris pour les avions de chasse.
À Kamenka, à seulement 60 kilomètres de la frontière finlandaise, plus de 130 tentes militaires ont ainsi été érigées depuis février 2025. La zone, qui n'était pas développée en 2022, semble désormais capable d'accueillir jusqu'à 2 000 soldats.
Autre exemple significatif, à Petrozavodsk, trois grands halls de stockage ont été bâtis, chacun pouvant accueillir une cinquantaine de véhicules blindés. Une quatrième installation est en construction depuis le mois d'avril.
Activité militaire accrue
Au nord du cercle polaire, Severomorsk-2, une base d'hélicoptères, est également en cours de rénovation. Fermée en 1998, cette base a été réactivée en 2022.
"Au départ, un régiment de drones y stationnait mais elle n'était pas utilisée pour faire décoller des hélicoptères. Depuis, les Russes ont remis cette installation en état notamment en nettoyant les zones envahies par la végétation. Cela semble montrer qu'ils veulent intensifier leurs activités dans la région", explique l'historien militaire finlandais Emil Kastehelmi, qui a travaillé sur ces images satellite au sein d'une équipe d'analystes baptisée "Black Bird Group".
"Nous constatons actuellement un développement des infrastructures militaires, des changements au niveau organisationnel et très probablement la formation de nouveaux soldats. Mais ces changements ne sont pas encore radicaux", ajoute l'analyste finlandais.
Les forces russes ont renforcé leurs bases et construit des infrastructures militaires près de la frontière finlandaise. © Studio graphique FMM
Rompant avec sa traditionnelle neutralité, Helsinki a rejoint l'Alliance en avril 2023, suscitant la colère de Moscou qui avait promis à l'époque des "contre-mesures" sans donner plus de détails.
"L'élargissement de l'Otan est une atteinte à notre sécurité et à nos intérêts nationaux", avait averti le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov. "Nous allons suivre attentivement ce qui se passe en Finlande, (...) la façon dont cela nous menace".
Quelques mois plus tard, les représailles russes ont pris la forme d'une tentative d'organiser une crise migratoire à la frontière. L'opération a été un échec mais a conduit Helsinki à fermer sa frontière terrestre avec la Russie en décembre 2023 et à n'accepter les demandes d'asile qu'aux points de passage frontaliers ouverts pour le trafic aérien et maritime, soit les ports et les aéroports.
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Rivalités dans l'Arctique
Si la situation n'a rien de comparable à la concentration de troupes qui avait précédé le déclenchement de "l'opération spéciale" en février 2022 en Ukraine, ces mouvements pourraient constituer les premières étapes d'une activité militaire accrue dans les prochaines années, selon le renseignement finlandais.
Pour Moscou, la zone est stratégique car la frontière avec la Finlande, de plus de 1 300 km, est la plus longue ligne de contact entre l'Otan et la Russie. Elle est également cruciale pour la défense de la région de Saint-Pétersbourg.
"À long terme, les Russes vont devoir avoir une défense solide sur cette frontière. Si l'Otan et la Russie entrent en guerre dans les pays baltes, les Finlandais ne resteront pas les bras croisés. Ils vont probablement contre-attaquer et prendre la péninsule de Mourmansk où sont stationnés les forces nucléaires russes et la flotte du Nord. Les Finlandais peuvent faire très mal en coupant les lignes de ravitaillement entre Saint-Pétersbourg et Mourmansk", détaille Ed Arnold, chargé de recherche au RUSI, cercle de réflexion britannique de référence sur les questions de sécurité.
"Pour le moment, il est difficile de savoir si cette zone va devenir un point chaud. La guerre en Ukraine est toujours en cours et il semble extrêmement difficile de parvenir à une trêve. Mais d'après ce que nous savons aujourd'hui, les investissements dans le dispositif militaire russe seront significatifs", indique Emil Kastehelmi.
Ce renforcement de la présence militaire russe s'inscrit également dans le cadre plus large des rivalités géopolitiques croissantes dans l'Arctique. Récemment, les troupes américaines et finlandaises ont organisé un entraînement de grande envergure dans cette région en simulant un conflit avec la Russie. En novembre, des milliers de soldats de l'Otan ont participé à un exercice d'artillerie à grande échelle dans l'arctique finlandais.
La Finlande sur le pied de guerre
Pour Helsinki, qui a combattu l'Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale, la Russie est autant l'ennemi d'hier que de demain. Confronté aux ambitions impérialistes de Vladimir Poutine, Helsinki a redoublé d'efforts ces dernières années pour moderniser son armée.
Le pays souhaite notamment augmenter ses dépenses de défense avec pour objectif d’atteindre 3 % du PIB d’ici 2029. Il envisage aussi de repousser l’âge de ses réservistes à 65 ans pour atteindre un million de personnes mobilisables en 2031, soit près d'un Finlandais sur cinq. Début avril, le Premier ministre Petteri Orpo a également annoncé qu'Helsinki allait se retirer du traité d'Ottawa interdisant les mines antipersonnel et dont elle était signataire depuis 2012.
"La Finlande pense qu'elle doit être prête à se battre seule le cas échéant et son dispositif militaire est pensé pour cela. En cas de déclaration de guerre, ils peuvent mobiliser dès le départ 284 000 soldats. C'est plus que le Royaume-Uni ou la France. Ils sont non seulement bien équipés mais ils ont aussi la masse", souligne Ed Arnold, rappelant que la Finlande dispose de l'artillerie la plus puissante de l'Union européenne mais aussi "d'énormes stocks d'armes et de munitions".
"La Finlande est probablement l'un des pays de l'Alliance avec la meilleure défense. Il serait stupide de la part des Russes de commencer une opération militaire contre l'Otan en attaquant d'abord la Finlande", poursuit l'expert.
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Le pays possède notamment de très nombreuses pièces d'artillerie autoportées, dont plusieurs dizaines de K9 Thunder sud-coréens ainsi que des M270 Multiple Launch Rocket Systems (MLRS), des lance-missiles semblables aux Himars qui ont fait tant souffrir les Russes en Ukraine.
Courant 2025, Helsinki devrait également pouvoir mettre en service ses premiers F-35 américains, l'un des avions les plus chers et les plus sophistiqués au monde. En 2021, le gouvernement finlandais a passé commande de 64 appareils pour 8,4 milliards d'euros à Lockheed Martin pour renouveler sa flotte de F/A-18.
Si un redéploiement massif de forces armées russes vers le Nord après un cessez-le-feu en Ukraine semble un scénario crédible, la tâche s'annonce éminemment complexe pour l'armée russe face à la remilitarisation du flanc oriental de l'Otan.
"Les Russes vont devoir déployer des ressources à proximité des pays baltes, sur toute la frontière avec la Finlande mais aussi sur la frontière avec l'Ukraine, où qu'elle se trouve. En fin de compte, il leur faudra davantage de forces qui seront plus dispersées", prédit Ed Arnold. "On voit bien ici que d'un point de vue stratégique, les Russes n'ont pas été très intelligents avec leur guerre en Ukraine".
FRANCE 24