Fille de réfugiés politiques iraniens, la députée socialiste du Val-d'Oise et présidente du groupe d'amitié France-Iran Ayda Hadizadeh s'inquiète du sort des populations civiles dans son pays d'origine et réclame l'arrêt des bombardements. Elle redoute également une "chasse aux espions" en cas d'accord avec les États-Unis sur le programme nucléaire militaire iranien. Entretien.
 

Elle dénonce "une folie" et la mort de victimes innocentes. Alors que les affrontements entre l'Iran et Israël se poursuivent, jeudi 19 juin, malgré les appels répétés de la communauté internationale à faire baisser la tension, la députée française Ayda Hadizadeh s'inquiète d'une répression accrue de la part du régime des Mollahs en cas d'accord sur le programme nucléaire iranien.

Le ministre iranien des Affaires étrangères a annoncé qu'il se rendrait à Genève pour participer vendredi à des pourparlers avec ses homologues européens, tandis que Donald Trump fait planer le doute sur une intervention militaire américaine.

Israël a déclenché vendredi 13 juin une opération contre les dirigeants du régime iranien et les infrastructures militaires et nucléaires du pays, qui a fait des centaines de morts. Les frappes menées en représailles par l'Iran ont quant à elles tué une vingtaine de civils en Israël.

Fille de réfugiés politiques, Ayda Hadizadeh a fui la République islamique à l'âge de cinq ans. Après plusieurs années au ministère de l'Éducation nationale, elle a travaillé au sein d'une association engagée pour donner la parole aux plus exclus, en particulier les enfants placés.

Élue députée du Val d'Oise en 2024, elle a récemment pris la tête du groupe d'amitié France-Iran de l'Assemblée nationale. Elle écume aujourd'hui les médias français pour réclamer l'arrêt immédiat des bombardements ainsi que le respect du droit international.

France 24 : Dans le contexte d'affrontement entre Israël et l'Iran, quel rôle joue le groupe France-Iran ?

Ayda Hadizadeh : Les groupes d'amitié visent à établir et consolider des relations entre deux pays. J'insiste sur le fait qu'il s'agisse de deux pays et en aucun cas de gouvernements. Étant d'origine iranienne, j'ai toujours très mal vécu le fait qu'on dise Iran pour parler de la République islamique. Cela fait 40 ans que les Iraniens, dans leur immense majorité, sont otages d'un régime corrompu qui les méprise, les martyrise, les tue et les affame.

De mon côté, j'ai tout de suite souhaité dédier le travail de notre groupe à l'obtention de la libération des deux otages français en Iran, Cécile Kohler et Jacques Paris, notamment en demandant l'affichage de leurs portraits sur les grilles de l'Assemblée nationale jusqu'à leur retour.

Dans le contexte actuel, j'envisage un temps d'échange avec des journalistes franco-iraniens et des experts franco-iraniens pour éclairer la situation. Je souhaite leur demander s'ils seraient d'accord pour recevoir l'ambassadeur d'Iran en France pour pour lui poser des questions. Sans aucune complaisance bien évidemment. Mais c'est aussi ce que font les groupes d'amitié. Ils reçoivent les représentants diplomatiques.

Que pensez-vous de la position de l'Élysée sur ce conflit ?

J'ai beau être dans l'opposition, j'approuve la clarification de la position française. Si dans un premier temps, juste après l'attaque illégale déclenchée par Israël contre l'Iran, Emmanuel Macron a rappelé que la France était du côté d'Israël pour se défendre, il a ensuite rapidement appelé à la négociation et à la désescalade.

Enfin, il a mandaté son ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, pour trouver une solution négociée de sortie de conflit. Je ne peux que saluer et espérer que cette démarche aboutisse. Cependant, on ne va pas se cacher, personne n'est naïf et je pense que nos diplomates du Quai d'Orsay ne le sont pas plus mais nous devons rappeler qu'il y a une autre voie que celle du conflit et rappeler qu'il y a un droit international qui devrait s'imposer à tous.

Avez-vous des nouvelles de votre famille qui réside à Téhéran ?

Depuis mercredi soir, il semble qu'Internet a été coupé. Je n'ai pas encore pu vérifier cela avait été rétabli. Il y a une forme d'attente angoissée de ce qui va se passer. Une forme aussi de résilience et de relativisme. Ma tante disait qu'elle avait déjà vu pire.

Évidemment, on ne partage pas d'articles critiquant le régime et qui pourrait les mettre en difficulté. D'autant qu'une chasse aux espions est à craindre. Le régime est prêt à signer tout de suite un accord car il veut durer, c'est la seule chose qui les intéresse. Alors la répression va s'intensifier contre les Iraniens. Ce sera la chasse aux traîtres de la patrie. Et cette chasse sera indiscriminée, comme elle l'a toujours été.

Certains exilés iraniens en France considèrent cette guerre comme un mal nécessaire pour accélérer la chute d'un régime déjà fragilisé. Qu'en pensez-vous ?

Je trouve que des exilés qui, dans le confort de la démocratie française, peuvent appeler à ce que les bombes continuent de pleuvoir sur la tête de leurs compatriotes pour qu'ils soient délivrés de la dictature, est d'un obscène sans nom. Ces personnes ont un agenda politique. Elles sont dans des groupes qui ont des positions politiques et pensent au jour d'après. Si des Iraniens en Iran le disent et l'expriment, c'est tout à fait autre chose. Je ne viendrai jamais faire la leçon aux Iraniens qui souffrent. Mais les exilés d'ici n'ont pas le droit de souhaiter le pire. 

Il n'y a pas un jour où nous, enfants de réfugiés politiques, nous n'avons pas souhaiter avec nos parents la fin de ce régime. Par exemple, ma mère nous a appris à parler, lire et écrire le farsi, parce qu'elle espérait dans les premiers temps une contre-révolution. Il fallait donc que nous sachions parler, écrire, lire pour ne pas être en retard à notre retour.

La chute du régime iranien n'est pas impossible. On a vu des régimes qu'on pensait indestructibles tomber du jour au lendemain mais c'est au peuple iranien d'accéder à sa liberté. Nous pouvons l'encourager, notamment en soutenant la culture iranienne. Quand on met à l'honneur à Cannes le réalisateur Jafar Panahi, ce n'est pas rien. C'est une manière de dire que nous sommes à vos côtés et que nous ne vous oublions pas. Je pense que ce qui est terrible pour les peuples, c'est d'avoir le sentiment de ne compter pour personne.

Par ailleurs, nous avons manifesté de nombreuses fois depuis deux ans et demi pour le mouvement Femme, Vie, Liberté. Et maintenant, nous voudrions que pleuvent des bombes sur ces têtes dévoilées parce que la fin justifierait les moyens ? Non, il faut soutenir toutes les forces dans ce pays qui, à l'intérieur, se battent pour renverser le pouvoir.

FRANCE 24