Face au changement climatique, les pays traditionnellement viticoles, comme la France, l’Italie et l’Espagne, font face à de nombreuses difficultés ces dernières années. La Suède, où les températures se réchauffent rapidement, pourrait-elle devenir la “nouvelle Bourgogne”, comme certains le prétendent ?
 

C’est sous la pluie que Romain Chichery et Emma Berto nous accueillent au milieu de leurs vignes à Båstad, dans le sud de la Suède. “Il a fait beau tout le week-end”, jurent ces deux jeunes Français venus s'installer dans ce coin de la Scandinavie. Sécateurs à la main et capuche bien vissée sur la tête, ils finissent les vendanges des 11 hectares de vignes du domaine Thora Vingård. Les deux œnologues ont été formés à Montpellier et ont travaillé dans de grands domaines français, avant de venir tenter l’expérience ici. Et ils ne sont pas les seuls : de plus en plus de viticulteurs viennent apporter leur savoir-faire et expertise en Suède.

Une augmentation des températures inquiétante

Face au réchauffement climatique, le monde vinicole est en pleine recomposition. L’année 2023 a enregistré la production de vin la plus faible depuis 1961 au niveau mondial, d’après les chiffres de l’Organisation internationale du vin (OIV). La France a, cette année-là, échappé à la catastrophe mais l’Italie et l’Espagne ont pâti de conditions météorologiques défavorables. Sécheresse, vagues de chaleur, gelées tardives, grêle, pluies intenses… La fréquence et l’intensité des aléas météorologiques augmentent, ce qui rend la culture de la vigne de plus en plus difficile dans certaines zones de l’Europe, pourtant traditionnellement viticoles. En France, où il a beaucoup plu en 2024, le ministère de l’Agriculture estime que les récoltes des vendanges devraient baisser de 18 % par rapport à l’année précédente. 

Mais c’est surtout l’augmentation des températures qui inquiète. “En cas de réchauffement global supérieur à 2°C, environ 90 % des zones viticoles traditionnelles des régions côtières et des plaines en Espagne, Italie et Grèce risquent de perdre leur aptitude à produire du vin de qualité à des rendements économiquement soutenables d'ici la fin du siècle”, explique l'Institut de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). À l’inverse, les pays nordiques pourraient tirer leur épingle du jeu. En Suède, les températures moyennes ont déjà augmenté de près de 2° entre 1991 et 2020 par rapport à la fin du XIXème siècle, selon l’Institut météorologique et hydrologique suédois (SMHI).

Tout est à inventer

Pour le moment, en Suède, la viticulture n’en est qu’à ses débuts. On compterait 200 hectares plantés. “Il y a environ 50 vignobles, mais pour certains c’est encore un hobby” explique Joe Roman, un Américain installé non loin de Helsingborg, dans le sud de la Suède. Et tout est encore à inventer. “On est arrivés en juillet 2021, raconte Romain Chichery. Au début, ça fait bizarre parce qu'on n'a rien à quoi se référer.” Ici, la culture commerciale de la vigne n’a été autorisée qu’en 1999 par l’Union européenne. Murre Sofrakis et sa compagne Lena Jörgensen ont été parmi les pionniers. Ils se sont installés dès 2000 un peu au sud de Malmö. “Nous sommes passionnés et nous voulions apporter une nouvelle expérience aux amateurs de vin”, explique Murre.

Vingt ans plus tard, le vin suédois commence à développer sa propre signature. “C’est tellement nouveau que c’est difficile de donner un type de vin”, explique la Franco-Suédoise Emma Berto. “Mais, globalement, on est sur des vins avec des acidités plus importantes dues aux températures sur la saison”, complète Romain Chichery. Autre particularité : les vignobles suédois misent en majeure partie sur des cépages résistants aux maladies, comme le Solaris, une variété développée en Allemagne dans les années 1970. En Scandinavie, “ça donne un équilibre parfait entre sucre et acidité”, explique Murre Sofrakis. “La plupart de mes vins ont un faible taux d’alcool, avec une forte acidité pour les vins blancs, et des notes florales et d’agrume”, raconte pour sa part Joe Roman. 

“Beaucoup de vins suédois sont compétitifs en termes de qualité”, est persuadé Joe Roman. Même si, “ça prend des années pour développer un grand cru comme en France, concède Murre, on fait de petites quantités en se concentrant sur la qualité du vin.” Car la Suède n’est pas encore prête à miser sur la quantité et exporte pour le moment très peu. “On ne peut pas rivaliser avec des vins espagnols, français ou italiens, qui sont bien moins chers”, explique Emma Berto. Beaucoup de bouteilles en Suède avoisinent les 30 euros.

La nouvelle Bourgogne ?

“Certains disent que c’est la nouvelle Bourgogne, c’est faux”, insiste Emma Berto. “Il faut se sortir de la tête que c’est le nouvel Eldorado”, tranche Romain Chichery. La Suède reste préservée face aux vagues de chaleur, mais ça ne veut pas dire que cultiver de la vigne est possible partout. La plupart des vignobles sont installés près de la mer ou d’un lac pour profiter de microclimats favorables. À l’intérieur des terres, les conditions sont bien trop froides. Murre Sofrakis est plus optimiste : “Il y a un momentum, se réjouit-il, quand je vois comment le vin s’est développé en Angleterre ces dernières années, je me dis que c’est possible aussi chez nous”. 

Il reste un dernier problème : la distribution d’alcool en Suède est encadrée par un monopole d’État et les vignerons ne peuvent vendre directement leur production. “Il n’y a même pas de caves à vin, explique Romain Chichery, et on ne peut rien vendre sur le domaine.” Mais un projet de loi a été mis sur la table. À partir de 2025, les producteurs pourraient avoir l’autorisation de vendre 3 litres de vin par personne et par jour. Le signe, peut-être, que l’État suédois commence à prendre cette nouvelle industrie plus au sérieux.

FRANCE 24